HOMELIE DU PERE AHOUA MIESSAN AUGUSTE ROGER

                                                                                                                        

Frères et sœurs, Capharnaüm fait partie de la Décapole, ces dix villes grecques qui, de droit et de fait, échappent au gouvernement central de Jérusalem. Toutes ces villes jouissent de l'autonomie des cités sous la souveraineté directe de Rome.  Au temps de Jésus, ces villes jouaient un rôle politique important. C'est ce qui explique la méfiance de Jérusalem, des prêtres, vis à vis de ces villes grecques, païennes et même vis à vis des juifs qui y habitaient.  Ils ne pouvaient pas, en effet, ne pas être contaminés par des coutumes païennes et d'autant plus que leur présence y était à peine tolérée ; à peine pouvaient-ils ouvrir une synagogue. C’est donc là, aux confins de l'Etat et de la religion, que Jésus commence son ministère en effaçant les frontières et en 'brouillant les cartes'.  Ses premiers disciples, en effet, Simon et André, seront des frontaliers, des gens peu enclins par la force des choses à une observance pointilleuse de la loi.  Il en sera de même pour Jacques et Jean.  Tous les quatre auront l'habitude de l'étranger et seront ouverts à un monde qui n'est pas uniquement juif Il est également curieux de constater que les premiers disciples ne sont pas des juifs issus de Jérusalem, c'est-à-dire des gens dont l'orthodoxie est garantie, mais des gens issus - pour reprendre les termes d'Isaïe - du carrefour des païens. Et c'est à eux que Jésus propose la conversion.  Non pas une conversion au judaïsme : comment pourraient-ils se convertir à une religion qui les suspecte dans le fait ? Mais à Dieu.  Parce que la conversion est d'abord libération de soi, libération qui nous fait prendre du recul par rapport à tous nos soucis quotidiens, non pas pour les abandonner - comment, par exemple, ne pas être soucieux de la maladie de son enfant ? - mais pour les considérer avec un regard nouveau, un regard de fils qui sait qu'il n'est pas seul, qui sait que Dieu peut beaucoup de choses, même si le pouvoir de Dieu ne s'exerce pas toujours dans le sens que nous voulons.

                                                                                                                   

Se convertir, c'est suivre Jésus Christ, c'est paraître devant Lui avec toutes nos maladies, toutes nos lèpres, tous nos tourments, tous nos démons, toutes nos paralysies pour qu'Il les guérisse. Se convertir, c'est avoir soif de guérison.  C'est cette soif de guérison qui nous rend tolérants et bienveillants pour ceux qui ne souffrent pas du même mal que nous.  C'est cette soif de guérison qui guérit de l'esprit de parti, cet esprit malsain qui divise le corps du Christ en clans rivaux et jaloux, comme si un aveugle valait mieux qu'un boiteux! De tous temps, le Corps du Christ a été divisé.  Non seulement entre les grandes confessions chrétiennes, mais bien dans chaque communauté.  Avant de rêver - et il est bon de le faire - à l'unité entre protestants, orthodoxes et catholiques, il faut penser que l'unité de l'Eglise commence ici, en acceptant qu'on peut rejoindre le Seigneur par d'autres chemins que le nôtre. S'attacher avec sectarisme à un chef de file, jeter l'exclusive contre d'autres formes d'expression de la foi, c'est monopoliser à son profit le nom du Christ, c'est défigurer l'Evangile, c'est bafouer le visage du Seigneur. Aussi posons-nous simplement cette question : comment acceptons-nous la liberté de l’autre ?  Sommes-nous convaincus que nous ayons, nous aussi, besoin de guérison ? Paul prend position au sujet des divisions qui agitent la communauté de Corinthe. Il voit dans cette discorde un danger pour l’annonce de l’Evangile. Aujourd’hui, nous en sommes heureusement au point où chaque Eglise reconnait la valeur du baptême conféré par les ministres d’une autre Eglise. Ne serait-il pas urgent de tirer de cet accord fondamental les conséquences qui devraient en découler, par exemple en matière de bénédiction nuptiale ou d’hospitalité eucharistique ? Marchant au bord du lac, il disait aux pêcheurs : "Venez donc derrière moi." Mais il faut le savoir, ce ne sera pas de tout repos. Car déjà Jean-Baptiste est jeté en prison pour avoir eu l'audace de faire de reproches au roi. Et les hommes de pouvoir vont prendre le relais. Scribes et pharisiens ont déjà pris la route pour épier ses gestes, éplucher ses paroles, noter qui il fréquente, pour dresser des dossiers et pour le dénoncer au grand prêtre, à Pilate, à l'Eglise, à l'empereur. Et vous qui êtes prêts à laisser votre barque pour marcher à sa suite, connaissez-vous le risque ? "Venez donc derrière moi", dit-il aux pêcheurs. Mais que les pécheurs sachent où il veut les conduire. Non pas vers la ville sainte, ni non plus vers le temple, où ils pourraient prêcher en toute quiétude, où ils seraient entre gens de bonne compagnie. Mais bien en Galilée, au carrefour des païens, où toutes les idées circulent et s'entrechoquent, sur Dieu, sur la morale, la loi, les commandements, sur l'argent, le bonheur, où les riches commercent et où les pauvres paient. Et vous qui le suivez, savez-vous que c'est là qu'il vous faut annoncer une Bonne Nouvelle ? Mais ils ont tout de même abandonné leur barque et leur sécurité et ils ont pris la route. Les voilà qui parcourent toute la Galilée, au carrefour des païens. Ils prêchent dans les églises, proclament la Bonne Nouvelle, vivent au milieu du peuple, relèvent les malades, accueillent les infirmes et éclairent tous ceux et celles qui ne voient plus clair. Mais aujourd'hui le chant du prophète Isaïe peut-on encore l'entendre ? Et le peuple qui marche dans l'ombre, les ténèbres, est-ce qu'il voit se lever une grande lumière ? Le bâton qui meurtrit et le fouet du chef sont-ils enfin brisés ? Puisse l'Esprit de Jésus nous guider dans toutes nos démarches et nous aider à dépasser nos égoïsmes pour nous ouvrir à son Amour qui n'a pas de frontières.

 

Amen!